CHAPITRE 1° : LA DECOUVERTE
Développer et interpréter
un demi-siècle de contradictions n’est pas une sinécure,
surtout lorsqu’il s’agit d’un amalgame d’événements survenus
au cours d’une vie quelconque, tartinée d’une accumulation d’échecs
et de déconvenues, totalement indépendants de la volonté
de son protagoniste.
La vie, est-elle la conséquence
de ses choix ? Est-il possible de croire au destin ou à la fatalité
? Comment imaginer cet univers quotidien sans évoquer notre éducation
chrétienne donc, en le rapprochant du contexte trilogique sacerdotal.
Est-ce que le voyage vers l’au-delà est la terminaison ou exhume-t-il
un nouveau départ ? Y a-t-il une vie après la vie ? La résurrection
est-elle prémices d’un meilleur renouveau ? Dés lors, existe-t-il
une entité susceptible de guider, d’influencer, de canaliser l’existence
en cours ? Est-ce que l’être et le destin sont immuables comme un
livre écrit en caractères indélébiles ?
Si nous ébréchons
l’approche dogmatique pour imaginer un autre début et sa fin, le
ciel serait-il sur la terre ? Dans ce cas, l’enfer, le paradis, le purgatoire
font partie de notre ordinaire. Mais, sont-ils dispensés dans un
ordre pré-établi ou aléatoire : bon, mauvais, exécrable
? Afin d’éviter le redoublement éternel, est-ce que le destin
est élastique pour intégrer les notions d’amélioration
ou d’aggravation ? Est-ce que le bien-être n’est pas l’outil de la
tentation instauré dans l’Eden journalier des sujets favorisés
? La vie serait-elle alors un éternel renouveau, un passage permanent
dans la trilogie, un enchevêtrement de désastres et d’émerveillements
? En fait, n’est ce pas le reflet de l’actualité ?
Pourquoi le mot « égalité
» n’a-t-il pas la même implication pour chacun d’entre nous
? Sans brandir l’anathème contre une vision manichéenne du
monde, force est de constater qu’à chaque terme descriptif concis
est associé son antonyme tout autant significatif. Le grand et le
petit, le mince et le gros, le riche et le pauvre, le beau et le laid,
l’heureux et le malheureux, le fort et le faible, le champion et l’invalide,
le bien portant et le malade, le héros et le pleutre, et tant d’autres.
Autant de « Docteur Jeckil » et « Mister Hide »
quand il n’y a pas accumulation de toutes les qualités pour une
opposition de tous les défauts. Y a-t-il alors des antinomies au
niveau de chaque inverse ? En est-il de même en son centre modérateur
? Le « grand » et le « petit » enveloppent-ils
le « moyen » comme un triptyque liturgique tourné vers
la réincarnation ? Autant de questions sans réelles réponses.
Dans ce contraste hermétique,
source de supputations, d’extrapolations ou de logiques quasi mathématiques,
personne ne peut se targuer d’exprimer une vérité, sauf la
sienne qui, dés lors, n’est plus qu’une hypothèse ou un témoignage
parmi tant d’autres.
Pour rester dans une authenticité
représentative de cette introduction, nous allons découvrir
sans fioritures, avec une franchise nécessaire et convenue, une
individualité devenue quinquagénaire et son autocritique
spontanée. Voyons ensemble, le déroulé contrasté
de ses journées respirées et tant de fois multipliées.
Bien sûr, cela ne peut-être qu’un résumé dans
la mesure où le développement n’habille que quelques dizaines
de pages. Des épisodes plus détaillés sont au berceau
d’un futur que nous souhaitons le plus proche possible.
Notre personnage est issu
d’un croisement franco-italien conforme à la tradition cosmopolite
de notre société contemporaine française. Nous l’appellerons
Henri, fils de MAGNANI pour les besoins de notre évocation.
Né avec le baby boom d’une mère fuyant la dictature Mussolinienne
et d’un père dont les origines s’arrêtent à l’assistance
publique « grand parentale » cévenole, si nous en croyons
les propos familiaux, notre « héros » entame sa jeune
carrière sans handicap, son signe zodiacal étant celui du
« Capricorne », et pourtant !
Avantagé par une magnifique
chevelure blonde (ou faut-il dire affublé), il est aussitôt
accueilli avec chaleur et enthousiasme comme tout beau bébé
qui se respecte :
- « Quelle belle petite
fille vous avez là ! » ; c’est vite devenu un leitmotiv familier
comme un disque enrayé que l’on écoute inlassablement avec
circonspection.
- « C’est un petit
garçon, il est magnifique, n’est-ce pas ? » ; la réponse
sempiternelle, pourtant tellement logique dans sa naïveté.
- « En effet ! et il
se porte bien ! » ; il s’agit là, bien entendu, d’un redressement
diplomatique empreint d’un soupçon de condescendance
- « Oh ! il ne me donne
pas de peine, il est bien sage et puis, j’ai l’impression qu’il comprend
déjà tout ce que je lui dis. Ah ! il promet beaucoup »
; la première impression est souvent la meilleure. C’est autant
de lapalissades réitérées sans hypocrisie, comme un
travail à la chaîne. C’est autant d’erreurs accumulées
en circuit fermé, une porte ouverte en permanence sur le purgatoire
qui se profile à l’horizon.
A peine passé le temps
des barboteuses, une anecdote relativement cocasse est arrivée jusqu’à
nous : le bambin connaît rapidement tous les poissons d’eau douce,
les parents étant passionnés par le loisir pêche. Les
gardons, carpes, chevesnes (localement appelées queues noires) et
bien d’autres, n’ont plus de secrets pour lui. Ainsi, fouinant à
quatre Pattes dans la luzerne pendant que ses parents s’affairent aux champs
près du mas qui les hébergent, il sort des herbes comme un
lapin sorti du chapeau d’un prestidigitateur, un animal qui s’entortille
autour du bras. Le tendant fièrement de sa petite main ferme il
s’écrit :
- « maman, maman, anguille,
anguille ! », Le sang du père qui s’activait tout à
côté, n’a fait qu’un tour et, se précipitant sur la
bestiole, il lui envoie un grand coup qui le projette à plus de
dix pas à la grande stupéfaction du gamin
- « Henri, il ne faut
pas le toucher, c’est un serpent », c’est ainsi qu’il a découvert
la peau écailleuse de ce rampant
Les jours se suivent et se
ressemblent : le petit ange poursuit ainsi son épanouissement en
fréquentant les platitudes et les milieux austères, depuis
l’école maternelle jusqu’à l’école primaire.
Pour corser le tout, notre
chère tête blonde zézaye. Chacun lui trouve cependant
des dispositions notamment en mathématiques, des faiblesses en orthographe,
tant et si bien que les notes obtenues dans chaque matière sont
en totales contradictions, comme le haut et le bas, le jour et la nuit,
le dix (c’est alors le maximum) et le zéro, en fait, le reflet synthétisé
de son devenir.
Il en va de même pour
l’instituteur qui, involontairement, souffle le chaud et le froid dans
son application de l’éducation scolaire. Quel drôle de «
Monsieur » que cet enseignant, hégémonique par sa voix
grave et ses certitudes professionnelles. « Monsieur GIMIEZ »,
tel est son nom, est à l’origine d’une prise de conscience qui sera
le jalon d’un nouveau départ, celui qui conduit au collège.
Henri est assis au premier
banc à droite, prés de la fenêtre qui donne sur une
placette ouverte vers la route principale, à côté de
Gérard, le « fort en français ». Après
une énième dictée préparée, précédée
de notations identiques frisant le zéro pointé, oh ! miracle,
voilà qu’on s’achemine vers un dix sur dix :
- « Henri, tu as copié
sur Gérard ». Quelle désagréable surprise
pour cette âme d’enfant ignorant cette ignominie d’être accusé
de tricherie. Recevoir un tel affront quand des félicitations sont
attendues, persuadé d’avoir enfin réussi son devoir. Pendant
un instant, il reste prostré comme un boxeur envoyé au tapis,
assommé par ce coup de Jarnac asséné tel le marteau
sur l’enclume.
- « Non m’sieur ! »
répond-il à deux reprises craintif et dépassé
par cette réaction, le langage de sourd tournant à la raison
du plus fort : un nouveau nul sanctionne injustement un effort et clôture
le monologue de l’enseignant
Paradoxalement chez ce remarquable
maître d’école terre à terre cantonné dans ce
village provençal agricole, l’évidence est récompensée
à sa mesure, surtout lorsqu’elle est exceptionnelle. Appelé
au tableau pour réciter quelques vers d’un poème, le «
fort en math » puni la veille, balbutie sans intonation, sans respect
des liaisons et de la ponctuation, avec quelques accrocs dans la voix et
parfois soutenu pour poursuivre la chronologie des mots appris par cœur.
Il s’efforce tout simplement, de corriger son zézaiement. Son énumération
terminée l’instituteur lui demande gentiment :
- « Henri, tu recommences
ce poème et tu le récites comme tu l’as fait tout à
l’heure, car c’est très bien » ; quelle joie indescriptible
de recevoir enfin un compliment.
- « Bravo, tu auras
dix sur dix » ; sans précision sur ce qui reste implicite
entre l’homme et l’enfant. A-t-il pensé que ce problème handicapant
pour l’élève, une fois nommé pour expliquer sa note,
pouvait affecter sa personnalité ?
A dater de ce jour,
Henri n’a plus zézayé. Jamais il n’a oublié cet instituteur
de province et pourtant, il l’a maintenu dans sa classe un an de plus en
raison de sa faiblesse en orthographe avant de le faire admettre en «
sixième ». |