VIVRE UN PURGATOIRE (page 2)
CHAPITRE 1° : LA DECOUVERTE (suite)

Cette dernière année a été merveilleuse et s’est achevé sur une fabuleuse récompense : un dictionnaire, le « QUILLET FLAMMARION », son premier livre et quel livre ! Il est énorme et doit bien peser une tonne. Pourtant, il ne laisse à personne le soin de le porter par peur de le perdre. Rangé avec un soin quasi religieux et feuilleté comme un livre de chevet, il le couve du regard de la passion et fini par tomber amoureux de la langue française.

Les « grandes vacances » étalées de juillet à août, sont passées à une vitesse époustouflante ; à peine ont-elles commencées qu’elles sont déjà terminées, comme si elles n’avaient pas duré trois mois mais plutôt trois jours. Virevoltant entre ses collections de timbres-poste, ses véhicules miniatures « Dinky-Toys » et son « dico », gagné par une nouvelle soif de connaître tout rapidement parce que demain sera trop tard, le bambin a grandi vite, peut-être trop vite.

Avec le recul, nous pouvons dire que le retard scolaire qui a précédé l’entrée au collège a été judicieux. Les sept années d’école secondaire se sont déroulées sans redoublement et avec une réussite totale à tous les examens.

Nous savons pourtant, que cette période n’a pas été totalement fluide. Mais laissons maintenant Henri prendre l’initiative pour nous conter la suite et son adolescence mal maîtrisée. Voyons comment sa lutte pour dominer une personnalité contrastée, peut le conduire au renoncement.
 
 

CHAPITRE 2° : LE RENONCEMENT

Je découvre pour la première fois mon collège. Le bâtiment m’impressionne par ses dimensions et son architecture moderne. Je mesure du regard l’espace immense qui s’élance entre les hautes marches sous le porche et le vaste préau où s’agite, une fois l’an, la foire aux livres d’occasion. Elle est organisée pour faciliter l’accès à l’enseignement secondaire aux moins favorisés. J’ai l’impression d’attendre dans un hall de gare aux heures de pointe pour prendre un train qui va s’arrêter à mes pieds mais qui ne part pas.

Les derniers moments de vacances avant mon entrée en « sixième », sont faits d’excitation et de crainte.

C’est alors le premier jour et puis, comme une lapalissade, les jours suivants. Je parcours les sept kilomètres qui séparent le village de la ville en bicyclette, le trajet ne m’incommode pas. J’apprécie cette relative tranquillité qui émane de la campagne quand la circulation automobile s’active de façon spasmodique. La fraîcheur matinale fouette mon visage et me revigore. Je franchis chaque jour le ruisseau et son eau limpide où la pêche des perches soleil, poissons chat et « queues noires » m’est familière. De part et d’autres de la route, des vignes s’élancent jusqu’aux cyprès. Quelques souches, connues par tous les petits maraudeurs sont délestées de leurs raisins muscats par les plus lestes, souvent même avant maturité. Plus tard, la liaison des deux localités est assurée par un réseau de cars suivant le même itinéraire. Ce déplacement plus rapide a le bonheur de m’apporter quelques minutes de sommeil supplémentaires mais il annihile les élans poétiques.

Le midi, je déjeune à la cantine, un vaste réfectoire organisé autour d’une dizaine de tables dressées pour recevoir vingt plateaux-repas. Paradoxalement, comme une roue suivant l’ornière, j’atterris immanquablement en bout de table, coincé à la vingt-et-unième place au milieu des « grands ». Pour conjurer le sort, j’essaie le plus souvent d’attendre le deuxième service, moins chargé, plus propice à une sustentation sereine.

Quelques pensionnaires redoublants, reconnaissables à leur tablier anthracite, sont installés au fond de la classe. Ils tentent d’imposer dans les rangs leur autorité aux nouveaux venus : je suis inquiet. A dix heures, les quelques minutes qui précèdent le changement de cours sont un peu plus élastiques. C’est le moment propice pour améliorer de façon substantielle le petit déjeuner matinal. J’apprécie tout particulièrement ce moment comme une relaxation quand je dispose de la monnaie nécessaire à l’achat d’une gaufre ou d’un pain au chocolat que je déguste avec une lenteur délectable dans un silence quasi religieux. 

Arrivent les contrôles ; il s’agit en fait pour le professeur, d’évaluer chacun de ses élèves. Les notes sont déclinées de la plus haute vers la plus basse. A la surprise générale, je reçois toujours la meilleure note en Mathématiques, Anglais, Histoire et Géographie, Sciences Naturelles, Rédaction et même en Education Physique : je cours le soixante mètres en sept secondes et cinq dixièmes, je bats le record du collège, je sors vainqueur des compétitions qui m’opposent à tous mes adversaires jusqu’au chef-lieu d’arrondissement. Là, vraiment, je crois que j’ai impressionné tout le monde :
- « Comment un « intello » peut-il être aussi fort au sprint ? » ; il n’y a que l’orthographe où je laisse la meilleure place sans pour autant démériter.

Dés lors, je deviens respecté par tous et même les cancres provocateurs m’excluent de leurs menaces habituelles. Les professeurs me tarissent d’éloges dans leurs appréciations trimestrielles. Je ne suis plus appelé au tableau devant tous les autres élèves  pour les interrogations quotidiennes. Je suis devenu un exemple. 

Tout apparaît bien facile, trop facile et je m’accommode mal de cette image qui me gêne aux entournures. L’enfant que je suis resté ne croit pas en cette suprématie omnipotente et s’en explique dans son subconscient dualiste :
- « J’ai la meilleure note, soit ; c’est parce que je prends le temps de travailler ; je n’ai pas la capacité des gens intelligents ; çà ne peut pas durer »

Accroché à cette image contradictoire, je doute de moi. Je commence à redouter une interrogation devant tous les autres élèves de la classe, certain qu’elle confirmerait mes craintes et détruirait ce que je considère comme étant une caricature de ma personnalité. J’ai peur de décevoir. J’apprends tout par cœur. Je parle très peu, je deviens taciturne. En somme, je prends conscience de ma timidité :

« Les timides, çà se tortille,
Cà s’entortille, çà sautille,
Cà se met en vrille,
Cà rêve d’être un lapin » (1).

Le seul fait de traverser la cour des filles, deux fois par jour, trajet obligatoire pour rejoindre celle des garçons, m’affole au plus haut point et devient pour moi, un parcours du combattant. Tout est prétexte à éviter les rencontres. Mon carcan se referme. Je reste isolé comme un moine dans sa cellule, comme un bourreau sous son masque.

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