CHAPITRE 2° : LE RENONCEMENT
(suite)
Paradoxalement, l’hégémonie
que j’exerce sur les classements par matière m’importune car j’ai
l’impression de m’écarter des copains de mon âge. Je tente
de réduire cette différence en rendant des copies moins complètes,
mais en vain.
Vers la fin de cette première
année scolaire, notre professeur de français a laissé
sa place à une remplaçante. Parmi les devoirs à préparer
il y a une rédaction sur le principe d’un communiqué de presse.
J’ai pris un plaisir certain à rédiger un texte animé
avec dialogues comme s’il s’agissait d’une interview, après avoir
dévoré plusieurs articles de journaux. Vient le moment des
notes et celui où l’enseignante débute la lecture du meilleur
scénario : il s’agit du mien. Magnifiquement rendu comme un sketch
interprété par une actrice, elle fait vivre les personnages
que j’ai créés. La classe reste suspendu à ses lèvres
; « on n’entend pas une mouche voler ». A la fin, oh ! Stupeur
:
- « Tu n’as pas fait
çà tout seul » ; en me rendant ma copie
- « Si Madame »
; ai-je marmonné abasourdi, rouge tel une écrevisse, d’autant
plus accentué que je pense afficher ma honte comme si j’avais fauté.
J’ai l’impression de basculer trois ans en arrière, puis c’est le
trou noir. Je ne me souviens plus du tout de l’issue de cette confrontation,
ni des conséquences s’il y en a eu. Je pense que tous, dans la classe,
sont restés persuadés que j’en étais bien l’auteur.
Me voilà en «
cinquième » et l’image du meilleur élève me
colle à la peau et me poursuit comme un chien fidèle. Tous
les professeurs me connaissent, tous m’apprécient : je suis l’exception.
Je suis noté par anticipation. Les résultats me sont toujours
favorables et je garde en mémoire la réaction de mon vieux
et nouveau professeur de français, désolé de
ne pas pouvoir inscrire ma domination dans la matière où
je suis le plus faible :
- « Henri, tu me déçois
; tu n’es que 5° en orthographe ; tu peux faire beaucoup mieux ; je
compte sur toi le prochain trimestre pour améliorer tes notes »
; mes souvenirs restent vagues sur la suite mais j’ai dû progresser
ou, peut-être, ce vieil enseignant a-t-il eu des éclaircissements.
En « quatrième
», j’ajoute l’italien puis la physique et la chimie à
mon tableau de chasse mais je ne suis plus systématiquement classé
premier dans toutes les matières hormis les mathématiques.
Je reprends une dimension humaine. Je reste le meilleur élève
de la classe. Il en va de même en « troisième »
où je termine l’année en réussissant brillamment et
sans oral, comme prévu, l’examen du B.E.P.C. . Il me revient en
mémoire la réflexion de « Madame MAYET » professeur
de mathématiques dont je suis le meilleur élément,
elle ne m’apprécie pas beaucoup :
- « Miss sourire, n’est
pas le plus intelligent de la classe » ; en effet, chaque fois que
je m’exprime, mon faciès s’éclaire d’un large sourire, comme
si je voulais cacher ma timidité. Cette remarque a sur moi une influence
des plus néfastes : j’ai l’impression d’être observé
en continu. Quand je souris, je crains les regards, j’ai peur d’être
dévisagé, mon sourire se fige comme un rictus déformant
: il me paralyse. Je tente de l’exclure de mes réactions : impossible,
il est téléguidé. Je souhaite le réduire :
il est toujours là, mes sens ne m’obéissent plus. Mon comportement
est désormais conditionné par ce nouvel handicap.
Mon instabilité s’aggrave
à la découverte d’une acné chronique bourgeonnant
systématiquement sur le bout du nez comme une corne de rhinocéros.
Avec mes sept secondes et
deux dixièmes je reste maître du sprint mais un certain «
MAUGET » en classe supérieure, d’un an mon aîné,
montre toute sa puissance en sept secondes. J’ai suivi avec énormément
d’enthousiasme sa carrière sportive et plus tard, devant la télévision
familiale, sa deuxième place derrière « BAMBUCK »
en finale du cent mètres, à Paris. Sa disparition brutale
m’a beaucoup affecté.
A l’époque où
l’adolescent se développe, j’atteins ma taille maximale de croissance
et cela, à tous les niveaux. D’une année sur l’autre, mes
copains ont grandi alors que je plafonne avec mon mètre soixante-six
à la toise. En vitesse aussi, mes performances n’évoluent
plus : un, puis deux adversaires sortent vainqueurs de nos confrontations
sur soixante puis cent mètres. Suis-je trop précoce ? Mes
compétences sont-elles bien limitées ? Mes doutes sont-ils
fondés ?
Le garçon timide que
je suis vit alors son complexe au paroxysme, la crainte de passer au tableau
devient une peur panique.
En « seconde »,
je découvre pour la première fois l’incompétence avec
un nouveau professeur et son enseignement des mathématiques modernes.
Chaque nouvelle leçon se limite à la lecture du contenu de
l’ouvrage commun à tous les élèves. La conséquence
immédiate est un zéro sanctionnant toutes les interrogations
orales ou écrites. Je ne déroge pas à la règle.
Appelé à mon tour pour être interrogé, je suis
incapable de répondre à ses questions :
- « MANGNANI, vous
me surprenez, vous le brillant élève, ne pas savoir quelque
chose d’aussi simple » ; mon sang n’a fait qu’un tour. Je suis révolté
dans mon fort intérieur. Mon bon ange me conseille de faire comme
l’autruche et de passer par un trou de souris, comme d’habitude. Par contre,
le démon qui sommeille en moi réagit devant cette situation
qui concerne toute la classe : il la considère comme insoutenable.
Pour une fois, tout le monde est au même niveau, il n’y a plus rien
qui m’impressionne et soudain, je m’entends répondre en ces
termes :
- « C’est normal, vous
n’expliquez pas les leçons. La simple lecture que vous faites est
à la portée de tout le monde » ; l’enseignant ne sait
plus ce qui lui arrive. Il maugrée quelques mots :
- « Ah c’est comme
çà ! eh bien ! vous aurez de mes nouvelles et vous serez
convoqué chez le Principal ». |