Une loi se prépare
en haut lieu (page 2/5)
Onzième législature déposée le 14 décembre
1999
Proposition de loi relative au harcèlement moral au travail
LA DEFINITION
De la définition
du harcèlement moral au travail dépend l'efficacité
et l'orientation choisie pour la proposition de loi.
Notre ambition n'est nullement
d'imposer une définition universelle, mais plutôt une définition
téléologique qui soit juridiquement opérante en droit
du travail, en fonction précisément du but recherché.
La médecine, la sociologie ainsi que toutes les autres disciplines
qui auront besoin de nommer le phénomène devront, sans doute,
recourir à leur propre terminologie.
C'est pourquoi nous proposons
de définir le harcèlement moral au travail comme "un harcèlement
par la dégradation délibérée des conditions
de travail".
Inclure le terme "harcèlement"
dans le corps même du dispositif permet de nommer clairement les
types de comportements visés. Il renvoie à la notion de systématisation,
de répétition. Il est étroitement lié à
la médiatisation qu'a connue récemment le phénomène.
Il est devenu désormais celui qui évoque le mieux le type
de situations qu'il s'agit d'appréhender.
Or, la banalisation constitue
l'un des problèmes majeurs de ce phénomène, qui ne
pourra être résolu que si les agissements considérés
comme répréhensibles sont stigmatisés. Le recours
à ce concept dont la signification est déjà connue
devrait y contribuer en permettant de tracer une frontière nette
entre, d'une part, les heurts inhérents à tout travail en
collectivité et, d'autre part, les agressions systématiques
qui relèvent quant à elles du harcèlement moral.
La notion de "dégradation
délibérée des conditions de travail" peut au premier
abord surprendre. En effet, l'élément qui a conduit ces dernières
années de nombreuses personnes à se mobiliser résulte
dans l'augmentation constante de violences psychologiques au travail, visant
à porter atteinte à la dignité voire à l'intégrité
psychique des salariés. Pourtant, la définition juridique
de ces notions étant particulièrement restrictive, circonscrire
le harcèlement moral aux seuls cas d'atteintes à la dignité
ou à l'intégrité psychique conduirait à en
exclure toute une série de pressions psychologiques.
L'attention s'est d'abord
focalisée sur la personne du salarié et sur les atteintes
dont elle était victime. Toutefois, il ne s'agit là que des
conséquences et non des causes de ce phénomène. Or,
ce sont les conditions dans lesquelles le salarié exécute
sa prestation de travail qui caractérisent le harcèlement
moral.
La notion de conditions
de travail recouvre, en effet, l'ensemble des circonstances qui entourent
l'exécution de la prestation de travail. La répétition
de petites vexations ou brimades au même titre que des mutations
ou encore des privations de travail relèvent des conditions de travail.
Par conséquent, quel qu'en soit l'auteur, quels que soient les moyens
utilisés, le harcèlement moral se traduit toujours par une
dégradation des conditions de travail.
Si la notion de "dégradation
délibérée" des conditions de travail a été
retenue, c'est parce qu'elle se révèle extrêmement
opérante sur le terrain du droit du travail.
Car, tout d'abord, lorsque
le harcèlement moral est le fait de l'employeur, elle apparent en
parfaite adéquation avec les différentes qualifications juridiques
des décisions que celui-ci peut prendre. En vertu de la classification
retenue par la jurisprudence, toute décision de l'employeur relative
aux conditions de travail constitue soit une modification du contrat de
travail, soit un changement des conditions de travail.
Pour ce qui est de la
modification du contrat de travail, laquelle touche au contrat lui-même,
celle-ci doit nécessairement être acceptée par le salarié.
En revanche, le changement des conditions de travail, qui ne constitue
qu'une modification des modalités d'exécution du contrat,
n'a pas à faire l'objet d'un accord du salarié. C'est donc
le terrain privilégié par l'employeur dans le cadre du harcèlement
moral, étant donné que le changement des conditions de travail
peut être imposé au salarié en ce qu'il est conforme
aux stipulations contractuelles.
Il existe donc de nombreux
cas où, en dépit du respect scrupuleux du contrat, le changement
des conditions de travail n'en constitue pas moins un harcèlement
moral ; or, dans ces cas, toute sanction paraît actuellement exclue.
Dans cet esprit, la notion
de dégradation délibérée des conditions de
travail permettrait, enfin, de sanctionner ces mesures a priori licites,
dès lors qu'elles ont pour seule finalité de détériorer,
intentionnellement, les conditions dans lesquelles le salarié exécute
sa prestation de travail.
D'ailleurs, cette notion
prend toute sa signification au regard de l'exécution de bonne foi
du contrat de travail que notre proposition de loi tend également
à renforcer.
En effet, le chef d'entreprise
ou ses représentants vont abuser de l'état de subordination
dans lequel se trouve le salarié pour le harceler. Ainsi la notion
de dégradation délibérée des conditions de
travail se confond fréquemment avec l'exécution de mauvaise
foi du contrat par l'employeur.
Lorsque ce harcèlement
se manifeste par des menaces, des pressions et des attaques systématiques
envers le salarié, il constitue un abus de droit manifeste. Dans
ce cas il pourra parfois être sur d'autres terrains que celui de
l'exécution du contrat de travail.
Mais, c'est sous la forme
de mesures d'ordre professionnel, c'est-à-dire relevant a priori
de l'exercice normal des prérogatives patronales, qu'il se manifeste
le plus souvent. Dans cette hypothèse, ces mesures ont pour but
unique de détériorer les conditions de travail du salarié.
Il s'agit alors d'un abus de droit plus subtil, et donc beaucoup plus difficile
à sanctionner, si ce n'est sur le fondement de l'obligation d'exécuter
le contrat de travail de bonne foi.
Cette notion permet, en
effet, de considérer que l'exercice par l'employeur de son pouvoir
d'organisation et de direction n'est pas pour autant nécessairement
légitime. Il faut pour cela que ce pouvoir n'ait, en outre, pas
été détourné de sa finalité, à
savoir l'exécution de la prestation de travail. C'est le cas par
exemple d'une mutation ou d'un changement de poste qui aurait pour objectif
de déstabiliser le salarié.
Ainsi, l'obligation d'exécuter
le contrat de travail de bonne foi viendrait opportunément compléter
la sanction de toute dégradation délibérée
des conditions de travail.
En second lieu, la définition
proposée présente aussi l'avantage de n'exclure aucun niveau
de harcèlement. Il peut s'agir de harcèlement vertical, d'un
supérieur hiérarchique vers un subordonné (ou inversement,
même si le cas est plus rare), mais également de harcèlement
horizontal entre collègues, dans la mesure où aucun lien
de subordination n'est exigé.
Cependant, même
lorsque l'employeur n'est pas à l'instigation du harcèlement,
sa responsabilité doit néanmoins être engagée.
Seul détenteur
du pouvoir de direction et d'organisation, il lui incombe effectivement
à ce titre de prendre les mesures nécessaires pour prévenir
ou faire cesser toute forme de harcèlement moral au sein de l'entreprise,
et ce quel qu'en soit l'auteur. Si ce pouvoir lui confère des prérogatives,
il a pour corollaire un certain nombre d'obligations et notamment celle
d'assurer à tout salarié des conditions de travail normales.
Il échoit donc
à l'employeur de prévenir le harcèlement moral au
travail, tout comme de le sanctionner.